C’est le papa de Blaise le poussin masqué, de Tromboline et Foulbazar, d’Okilélé et d’une ribambelle d’autres personnages inoubliables qui secouent les salles de classe, remuent les chambres, agitent les biblis et rafraîchissent nos idées. Il nous entraîne sur l’île des Zertes, dans La tempête et nous fait grimper à L’arbre sans fin. Ces albums sont Parci et Parla, Dans le loup et Dans la pomme et aujourd’hui, Claude Ponti est dans Beneylu Pssst !
Auteur et illustrateur, inventeur de mots et créateur d’images qui collent à la rétine, Claude Ponti travaille pour les enfants depuis la naissance de sa fille Adèle, en 1985. Il a publié 70 albums à L’école des Loisirs et crée le Muz en 2009, le musée en ligne d’œuvres d’enfants. Quand on demande à Claude Ponti de nous parler de l’école, il commence par : “Ah ça ne va pas vous plaire”. C’est justement ce qui nous a plu.
L’école de Claude Ponti c’est celle des années 1950 quand on est gaucher et dyslexique. C’est aussi l’école expérimentale et mixte. Remontons le temps, découvrons son histoire d’écolier.
Le passé d’écolier, les souvenirs d’enfance
Lucile pour Beneylu Pssst : Quel écolier étiez-vous à l’école primaire ?Claude Ponti : Cela commence avant l’école primaire, puisque j’ai eu une mère enseignante. Ma première année d’école maternelle s’est mal passée. J’ai été retiré de l’école. Puis, je suis allé dans une école expérimentale, une école mixte. Je suis né en 1948, c’était rare les écoles mixtes à l’époque. L’enseignante devait être une disciple de Germaine Tortel.
Elle nous faisait peindre sur les murs, sur des bouts de bois, avec les mains, on fabriquait des bouts de machins et des bouts de trucs. Sa méthode était très axée sur les arts plastiques. Son mari aussi était enseignant. Il proposait des activités dans l’école, du théâtre de marionnettes, on les voyait pendues au mur, puis vivantes, on les retrouvait dans nos cahiers. Il faisait du basket avec les grands et projetait les films de Laurel et Hardy ! Imaginez, regarder Laurel et Hardy à l’école ! Il y avait dans cette école merveilleuse, une ouverture totale, les enseignants nous donnaient des moyens d’expression. Ils nous aidaient dans notre construction et dans nos rapports avec les autres. Puis, tout est devenu très dur. Je suis allé dans la classe de ma mère. J’étais gaucher, elle me laissait écrire de la main gauche, sans en être contente. Je devais l’appeler “Madame”. À la maison, elle racontait ce que j’avais fait à l’école… et inversement.
Je réalise maintenant que je devais être dyslexique car je faisais des jeux de mots sans m’en rendre compte. À la ville, j’ai connu un abominable enseignant, qui deviendra inspecteur. Il emmenait les élèves derrière un piano, où il entretenait une flaque de larmes.
« J’arrivais à voir des choses intéressantes même chez les méchants ».
J’ai vécu l’école à la campagne aussi. Écrire à la plume sans salir sa feuille quand on est gaucher, c’est affreux. Comme je n’étais pas bête, j’avais trouvé l’astuce en penchant ma feuille. Mais on interdisait de pencher la feuille. Nous étions dans les années 50’. Les enfants étaient maltraités.
J’ai eu une enseignante géniale ! Et un sale con prétentieux, professeur de latin et de grec, mais génial aussi. Il était très cultivé et se baladait en toge blanche avec une lyre dans la forêt à réciter des poèmes grecs. Ce qu’il y a d’extraordinaire avec le système éducatif français que j’ai connu, c’est qu’il suffit d’un ou deux enseignants géniaux, pour sauver l’enfant.
J’ai une idée généreuse de l’enseignement public. J’arrivais à voir des choses intéressantes même chez les méchants. Je n’aimais pas l’école, mais j’aimais apprendre. Les méthodes ne convenaient pas. Mais comparer le temps où j’étais à l’école et l’école d’aujourd’hui, c’est peut-être parler des brontosaures ?
L’école d’aujourd’hui
B.P. : Quel est le rôle de l’enseignant d’aujourd’hui ?C.P. : Un enseignant qui montre que tout est possible. Révèle en vous des trésors. Fait de vous quelqu’un de bien.
Je ne sais pas ce qu’est le rôle de l’enseignant. Un bon psy a besoin d’un bon analysant, c’est pareil pour un enseignant et son élève. Il doit être parfait pour l’enfant. Il doivent bien s’entendre. Mais les enseignants enseignent à une masse, alors comment faire ? Et puis, comment peut-on juger un enseignant ? Ce qu’on fait en classe ne portera ses fruits que des années plus tard, si cela porte ses fruits.
Il faut respecter l’intelligence des élèves, les ouvrir, les aider à s’épanouir. Mais surtout, leur donner les moyens d’apprendre. Apprendre une liste de mots en anglais n’a rien à voir avec un voyage aux États-Unis !
J’admire la force des enfants malgré les parents au chômage, malgré toutes les difficultés… Ils portent une quantité de “malgré” incroyable. Prenons le temps de les considérer comme des personnes en devenir. Ils viennent à l’école avec des sacs-à-dos remplis de pierres et de hérissons.
B.P. : Quel est le lieu rêvé pour faire classe ?C.P. : J’ai rencontré un enseignant qui faisait classe en Polynésie française.
Quand la mer monte, il y a de l’eau dans la classe ! J’ai aussi vu un enseignant dans le centre de Paris qui, en maternelle, pense que les ATSEM doivent tailler les crayons, et appelle la mairie pour poser un clou. Les moyens ne sont pas très importants. Mais PEF raconte cette histoire, en Afrique. Il a demandé aux enfants de prendre une feuille et un crayon et ceux-ci lui ont répondu : “On n’a qu’un seul crayon pour l’année, on n’a pas de feuille”. Ce n’est pas parce qu’on a tout que l’on fait bien. Il faut malgré tout avoir quelque chose. À la campagne, l’école a un grand jardin, les enfants ont des patins à roulettes, on peut faire la classe dans la forêt, au bord d’un lac. La plus grande qualité d’un enseignant est, qu’au moment où il devient enseignant, il sait tout transformer en “matériel pédagogique”. C’est à dire, prendre quelque chose pour en faire quelque chose à apprendre.
Je me suis retrouvé dans une classe dans laquelle on avait photocopié l’un de mes livres en noir et blanc, sans le titre. On demandait aux enfants d’inventer le livre… Quelle aberration pour un livre qui ne demandait qu’à être lu… Mais c’est si malin pour apprendre quelque chose ! C’est un travail immense d’être enseignant.
L’expérience de Claude Ponti
B.P. : La relation d’un auteur avec son éditeur est-elle comparable à celle d’un élève avec son enseignant ?C.P. : J’avais 37 ans quand j’ai publié mon premier livre, pour ma fille Adèle. Le slogan de l’époque était : “l’enfant est une personne”, “l’enfant est intéressant”. Si je faisais un livre, ce n’était pas pour faire du pédagogique, certains le font déjà très bien. Je voulais que l’enfant ait droit à une littérature.L’école des loisirs pensait de même. Elle s’est battue pour que les livres rejoignent les classes. Il y a 20 ans, les bibliothèques étaient très rares à l’école, ou s’il y en avait une, elle ne comportait que des livres pour apprendre à lire, écrire, être poli. Ce fut une grosse bataille. Les relations entre un auteur et son éditeur et un élève et son enseignant sont donc comparables : il faut que les deux parties s’accordent, se respectent et soient dans le désir de bien faire et d’accord sur ce qu’est « bien faire ».
B.P. : Quelle est l’invention qui rendrait l’école encore plus chouette ?C.P. : L’école sera chouette quand on n’aura plus besoin d’y aller !
Crédits photo : l’école des loisirs, Adèle Ponti