Expédition frigorifique dans l’Arctique canadien

Épisode 5 : Bateau fantôme au détroit de Lancaster

Dissimulé en partie par la brume, le bateau fantôme se dessine à mesure que notre brise-glace s’en approche. Il fait froid ce matin et la buée que nous dégageons de notre bouche accentue l’ambiance mystérieuse…

 

J’aperçois les trois mâts d’un navire. Il ne s’agit pas d’un bateau fantôme mais d’une vieille épave ! CARLA a presque réussi à me faire croire à l’existence des bateaux fantômes… Son imagination est drôlement contagieuse.

 

Soudain, un choc secoue le Fridtjof Nansen, suivi d’un bruit sourd rendant inaudible le moindre mot. Je n’arrive pas à comprendre ce que me hurle CARLA, mais son visage effrayé me suffit : il a peur !

 

Je regarde par-dessus la rambarde, en m’agrippant très fort. Bien que l’épais brouillard nous cache la vue, je comprends que nous venons de percuter la banquise. C’est ici que le brise-glace entre en action : nous traversons la glace !

Rémy Marion Pôles d’Images remymarion.fr

“C’est le signe que nous approchons du village de Resolute Bay !” me crie Rémy Marion qui nous rejoint sur le pont.

La banquise

Contrairement aux icebergs qui sont constitués d’eau douce provenant des chutes de neige, la banquise est faite de glace d’eau salée. Cette couche de glace se forme lorsque la température de l’eau passe en dessous de – 1,8 degrés.

La banquise se trouve essentiellement aux pôles. Elle atteint sa taille maximale en mars et sa taille minimale en septembre.

Source : Dossier Beneylu « Arctique canadien »

Nous retournons à l’intérieur du Fridtjof Nansen, à l’abri des tremblements et du bruit. L’ensemble du brise-glace convulse. Dans la cafétéria, les ustensiles de cuisine se balancent au rythme des secousses. À table, nous avons du mal à nous servir de l’eau et à discuter sans crier.

Rémy Marion Pôles d’Images remymarion.fr

“Nous sommes au détroit de Lancaster et à partir d’ici, il faut se frayer un chemin. Nous allons à 4 kilomètres par heure seulement”, nous hurle Rémy Marion.

 

Pas peu fier, je lui raconte en criant notre découverte de l’épave. Il propose que nous allions la visiter en prenant l’hélicoptère.

CARLA, encore chamboulé par sa découverte de l’épave semble sortir de ses pensées : « Un tour en hélico ? Je viens ! »

 

Madame Elbeuf, l’historienne, se joint à nous.

 

Et Brabrabra, les yeux chaque jour plus cernés, traîne des pieds jusqu’à nous.

Entre le bruit du brise-glace et celui de l’hélicoptère, nous n’entendons plus grand-chose. Heureusement, nous protégeons nos oreilles avec un casque anti-bruit connecté à un micro. Cela nous permet de communiquer entre nous sans crier. Quel soulagement !

 

Nous décollons et volons en direction de l’épave aperçue plus tôt. Elle est échouée près de la côte. Le pilote, très envié par CARLA, pose l’hélicoptère sur terre et nous descendons sous le souffle des hélices. L’hélicoptère repart et nous prenons plaisir à redécouvrir le silence que nous avions perdu depuis ce matin !

 

Nous entrons dans l’épave du bateau. “Faites attention où vous marchez ! Le bois très humide peut céder à tout moment !” prévient Rémy Marion.

 

Nous marchons prudemment sur le pont de l’épave et commençons notre exploration.

 

En m’approchant de l’entrée de la cabine, je croise CARLA, avec un vieux coffre dans les bras.

“Ce n’est pas un bateau pirate CARLA, c’est un navire d’exploration !” précise Madame Elbeuf. CARLA essaye d’ouvrir son trésor, sans succès, le vieux verrou tient encore.
Brabrabra sort alors de son sac une épingle à tête chercheuse. “J’ai ce qu’il faut ! Aucun verrou ne lui résiste !”

 

Grâce à Brabrabra, le coffre est ouvert sans difficulté.

CARLA s’attendait à voir des pièces d’or… Il est déçu de ne trouver qu’un chapeau en fourrure, des cartes et quelques flacons. Mais, sa découverte semble intéresser Madame Elbeuf et Rémy Marion. Ils observent chaque objet avec attention.

 

“Incroyable ! Nous sommes sur l’un des navires qui avait été envoyé pour retrouver l’expédition Franklin… Les cartes indiquent que ce bateau s’est échoué ici en 1852.” s’exclame Madame Elbeuf.

 

Rémy Marion nous a déjà raconté l’histoire de cette expédition malchanceuse dont l’équipage entier a disparu en 1848. On dit que la femme de Franklin a ensuite tout tenté pour retrouver son mari, en vain…

L’expédition Franklin et les recherches de Jane griffin

L’expédition Franklin est une expédition polaire britannique du 19ème siècle menée par le capitaine John Franklin. Deux navires partent d’Angleterre en 1845 pour tenter de trouver un passage dans le Nord-Ouest. Malheureusement, ils se retrouvent bloqués par la glace et disparaissent en 1847.

La femme du capitaine Franklin, Jane Griffin, fera pression auprès de la marine britannique pour envoyer des équipes à la recherche de son mari. En 1854, l’équipage est déclaré mort en service. Lady Franklin conduira alors sa propre expédition en 1857. Cela permettra de retrouver une note qui détaille la tragédie vécue par son mari…

Sources : www.biographi.ca

Madame Elbeuf nous chante alors une vieille chanson, La lamentation de Lady Franklin. C’est une balade, qui a été composée pour raconter l’histoire de cette dame qui a remué terre et mer pour chercher son mari disparu.

Cette histoire montre aussi le début de l’histoire des femmes dans les grandes explorations. Plutôt éloignée de ce monde très masculin, Jane Griffin partit elle-même en expédition après que le Royaume-Uni eut abandonné les recherches de son mari.

 

“Aujourd’hui, il y a de plus en plus de femmes qui vont dans le Grand Nord, notamment des scientifiques.” nous explique Madame Elbeuf.

 

CARLA pose le chapeau sur sa tête : “Mais, pourquoi avoir mis ce truc dans un coffre ?”

 

Omni se lance dans les explications.

La vente de fourrures dans le Grand Nord

Du début du 17ème à la fin du 19ème siècle, la traite des fourrures au Canada fait la fortune des compagnies anglaises et françaises.

La peau du castor est très prisée en Europe, notamment pour réaliser des chapeaux. Cela fait la richesse des trappeurs, les chasseurs de fourrure.

Sources : www.thecanadianencyclopedia.ca

La route des épices et la traversée de la mer du Nord

Depuis l’Antiquité, les épices ont été sources de commerce entre l’Asie et l’Europe. Pendant longtemps, le transport des épices a été réalisé par des caravanes de chameaux et de dromadaires à travers les déserts du Moyen-Orient.

La vente des épices a bénéficié aux royaumes du Moyen-Orient. Dès le 14ème siècle, les rois des royaumes européens vont donc chercher une nouvelle voie maritime pour accéder à ces épices et faire fortune eux aussi.

Le célèbre voyage de Christophe Colomb avait pour but de trouver cette fameuse route de l’Ouest !

Plus tard, lorsque le continent américain fut cartographié, les explorateurs se mirent à chercher une nouvelle route pour l’Asie, en voulant passer par le Nord du continent et rejoindre la Russie au niveau du détroit de Béring.

Sources : www.jardinsdefrance.org

Rémy Marion observe le chapeau. “C’est de la fourrure de castor, un bien très prisé et très cher pour l’époque.”

Madame Elbeuf nous explique que les épices sont une des raisons pour lesquelles les européens cherchaient une route dans le Grand Nord. Afin de relier l’Asie et l’Europe et d’importer plus aisément les épices.

 

En revenant sur le pont de l’épave, le brouillard s’est dissipé. Nous voyons à présent notre brise-glace au loin, lutter contre les éléments. Il fonce dans la glace comme un bélier géant.

 

“Nous ne sommes pas très loin de l’île de Beechey, nous avons encore le temps pour une petite excursion !” annonce Rémy Marion.

 

L’hélicoptère nous rejoint bruyamment et nous partons pour l’île de Beechey. Une fois sur l’île, l’hélicoptère se pose et éteint son moteur pour nous attendre. Le calme revient dans l’Arctique.

 

Nous suivons Rémy Marion qui reste silencieux durant notre petite randonnée. Après quelques kilomètres à pied, nous arrivons devant des tombes. Je comprends alors où nous sommes : “Ce sont les tombes d’une partie de l’équipage de Franklin !”

 

“Quatre membres de l’équipage ont été enterrés ici.” confirme Rémy Marion.

Rémy Marion Pôles d’Images remymarion.fr

CARLA claque des dents. “Et leurs fantômes ?!”.

 

“Les fantômes n’existent pas CARLA” lui répond Brabrabra, blasée.

 

Rémy Marion nous montre un monument bâti en hommage aux marins morts dans les expéditions passées. L’exploration est une activité dangereuse. C’est grâce à ces hommes et ces femmes courageux que nous pouvons à présent nous vanter de bien connaître notre planète.

Rémy Marion Pôles d’Images remymarion.fr

Après quelques minutes de recueillement silencieux, nous repartons en direction de l’hélicoptère.

 

De retour à bord du Fridtjof Nansen, j’observe le sillon laissé dans la glace par notre bateau, quand j’aperçois tout à coup des cornes sortir de l’eau.

 

Des narvals ! J’appelle mes compagnons pour qu’ils profitent du spectacle.

Le narval

Rémy Marion Pôles d’Images remymarion.fr

Le narval, ou licorne des mers, est un cétacé qui vit dans les eaux de l’Arctique. Il est caractérisé par sa longue défense en spirale qui est en fait la dent du mâle. Elle lui sert à capter de nombreuses informations sur l’eau qui l’entoure, comme la salinité, la température ou la proximité d’un prédateur.

Cette défense a longtemps été la cause de la chasse au narval, car elle était vendue comme une corne de licorne et servait pour différentes recettes mystiques.

Le narval vit en groupe de 2 à 10 individus.

Taille : 4,2 à 4,7 mètres de long, c’est la taille d’un petit camion.
Taille de la défense : jusqu’à 2,7 mètres, soit la longueur d’une voiture.
Poids : 0,7 à 1,5 tonne.
Durée de vie : 25 à 50 ans.
Temps d’apnée : 25 minutes de plongée pour aller jusqu’à 1 500 mètres de profondeur.

Sources : https://wwf.ca/fr/species/narval/

Nous passons la fin de la journée et la nuit dans le vacarme du brise-glace, ce qui n’arrange pas les troubles du sommeil de Brabrabra… Personne n’ose lui demander où en sont ses travaux sur le Brabragélator. Elle risquerait de nous envoyer par-dessus bord !

 

Le lendemain, nous apercevons enfin les côtes de Resolute Bay, notre destination finale. C’est encore la fête à bord du Fridtjof Nansen !

 

CARLA reste dans son coin. J’imagine qu’il fait des plans sur la comète pour découvrir qui se cache derrière la douce voix du haut parleur… Mais non. Il est obnubilé par une ombre qu’il voit passer sur les falaises.

 

“C’est un homme ! Un homme de pierre !” s’écrie t-il.

 

Beneylu Jim