Dans la peau d’un chercheur au cycle 3
5 min. de lectureComme les sciences, la plupart des domaines mathématiques peuvent être abordés de façon expérimentale avec du matériel. Les élèves cherchent seuls ou en groupes et font des hypothèses de départ. Je pose des questions pour pousser l’élève à justifier son raisonnement. Il comprend ainsi par lui-même s’il fait fausse route.
Pssst... On peut faire manipuler les élèves avec du matériel très simple : des pailles, des pinces à linge, des cubes, des jetons, des ficelles, des gobelets. L'objectif est qu'ils s'approprient les concepts mathématiques.
Confronter les points de vue en classe entière permet à chaque élève d’avancer dans son raisonnement. Le but est de parvenir à la construction et à la compréhension des concepts mathématiques. La manipulation d’objets aide les élèves à comprendre et à basculer vers l’abstraction.
Dès lors, chaque début de séquence est devenu un moment passionnant pour eux comme pour moi. L’erreur devient une étape pour avancer dans la compréhension.
Ils tâtonnent, puis trouvent par eux-mêmes les règles mathématiques. Quel bonheur de voir leurs yeux s’illuminer quand ils réalisent que ça y est, ils ont compris !
Pour l’enseignant, cela demande un vrai travail de fond. La manipulation doit être pensée pour mener l’élève à la compréhension du concept abordé et à l’abstraction progressive.
Mais concrètement, à quoi sert la manipulation d’objets en maths ?
1. S’entraîner et progresser en répétant des gestes
La manipulation en début de séance peut servir d’évaluation diagnostique sur les acquis des classes précédentes.
Il est facile de voir si un élève a compris et retenu le dur concept de la multiplication : il suffit de lui demander de le faire en manipulant.
« Fais-moi 3 x 5 avec les jetons. » S’il vous place 3 jetons d’un côté et 5 de l’autre, c’est qu’il n’a pas compris. Il est donc nécessaire de prendre le temps de lui faire comprendre par la manipulation d’objets.
S’il a compris les bases, on peut passer à l’exercice suivant. On peut aussi le faire réviser, car revoir est important pour réactiver sa mémoire à long terme. L’élève apprend à retrouver dans sa mémoire les automatismes pour réussir un exercice.
2. Chercher et comprendre grâce à des objets
Mes élèves me montrent chaque semaine l’importance de la manipulation d’objets en maths. Petit exemple tiré de la deuxième séance de géométrie sur les solides.
Chaque groupe a 10 spécimens de solides. Je leur demande s’ils connaissent les 2 grandes familles de polyèdres. Les mots prisme et pyramide émergent parmi d’autres.
Première consigne : Nous avons vu la semaine dernière les polyèdres et non polyèdres. Mettez dans le verre en plastique tous les non polyèdres.
Deuxième consigne : Maintenant, observez bien les polyèdres devant vous. Mettez ensemble ceux qui se ressemblent. Vous allez faire 2 tas, l’un avec les “prismes” et l’autre avec les “pyramides”. Attention, il y a un piège…
Ah, quel merveilleux moment de débats dans les groupes !
Toutes les discussions portent sur le prisme à base triangulaire (mon piège).
Ils le prennent dans leurs mains, l’observent puis disent :
– Mais regarde, 2 de ces faces sont triangulaires comme les pyramides.
– Oui mais il n’est pas pointu, il ressemble plus aux prismes.
Ensuite, je leur demande d’observer les prismes, de les reproduire chacun, en l’air avec une main et de me dire ce qu’ils ont en commun. Ils trouvent pour les prismes :
- 2 bases pareilles et parallèles (j’ai pu introduire le terme mathématique d’isométriques)
- Les autres faces sont des rectangles (je leur ai expliqué que cela pouvait aussi être des parallélogrammes, on a vu le cas particulier du cube)
Pour les pyramides :
- 1 seule base (c’est pour cela qu’il est pointu)
- Les autres faces sont des triangles
Et là je vois les groupes qui se sont trompés attraper, sûrs d’eux, le fameux prisme à base triangulaire et le ranger dans la bonne famille. Même pas besoin d’explication, tout est devenu clair pour eux.
Soudain, un élève me demande :
– Et une pyramide tronquée, elle va dans les prismes alors ?
– Qu’en penses-tu, toi, d’après ce que vous avez trouvé ?
– Non ! car ses bases ne sont pas isométriques même si elles peuvent être parallèles.
Autre réflexion : “En fait maîtresse, pour compter les faces d’un prisme, il suffit de compter les côtés d’une base (= nombres de faces latérales) et d’ajouter 2 (= 2 bases) !”
Il vient de trouver une astuce pour compter les faces d’un prisme. Un autre : “et pour la pyramide, je n’ajoute qu’un car il n’y a qu’une base.” Ils sont fin prêts pour la trace écrite.
Cet exemple illustre bien l’importance de la manipulation d’objets. Sans elle, la séance aurait impliqué qu’ils connaissent par cœur les figures et qu’ils soient capables de visualiser mentalement les 6 polyèdres avec les formes de chaque face. À cet âge-là et en classe entière, je ne l’ai encore jamais vu !
3. Mesurer pour visualiser les grandeurs
Les élèves n’ont bien souvent aucune idée de ce que représentent les mesures mathématiques dans la vie. De plus, les systèmes de mesure arbitraires ne les aident pas vraiment.
Pour les reconnecter avec la réalité et leur faire comprendre la logique des systèmes de mesures, il est nécessaire qu’ils les visualisent par le corps. Au siècle des voitures et de la course contre le temps, peu d’élèves ont déjà fait un kilomètre à pied pour voir combien ça fait. Du coup, 1 km et 1 m pour certains, cela ne représente rien.
Petit test : demandez à vos élèves de vous montrer un mètre entre leurs deux mains. Et bien la plupart des miens n’étaient pas dans le bon ordre de grandeur. Il m’a donc fallu retravailler le mètre avec l’objet mètre qu’ils mettent entre leurs mains horizontalement puis verticalement en partant des pieds.
Ensuite une fois la longueur bien mémorisée, ils la font dans l’espace sans l’objet mètre, puis les yeux fermés.
Avec des pailles, des bandes ou des fils, les élèves ont expérimenté le système métrique. Cela leur permet d’enfin comprendre ce que représente chaque mesure de longueur. Ils en déduisent les équivalences.
Et le tableau arrive naturellement ensuite. Remplir les cases n’est plus qu’une formalité puisqu’ils en comprennent le sens. Certains ont besoin de revoir l’objet mètre, l’objet décimètre, etc. Mais la plupart a pu passer dans l’abstraction ensuite assez rapidement, preuve qu’ils ont quelques souvenirs de leurs classes antérieures.
Il se passe la même chose avec les masses (les miens ne font pas spécialement la cuisine avec leur parents et ne pèsent donc pas) et les contenances.
Mes élèves ne confondent plus le périmètre (1D) avec les aires (2D) et les volumes (3D). En effet, grâce à la spécialiste de l’enseignement des mathématiques à l’école primaire Madame Guéritte-Hess, ils ont chacun expérimenté dans le réel ces 3 mesures. Manipuler des allumettes ou un fil n’a rien à voir avec remplir une figure de carrés et un volume de cubes !
Du coup la confusion des concepts n’est plus possible. Ils manipulent des objets et font des gestes pour intégrer les mesures. Ils ont même trouvé pourquoi 2 cases par colonne pour les aires et 3 pour les volumes. Comme ils me disent à chaque fois qu’ils viennent de comprendre : “En fait, c’est logique”.
Depuis que je manipule sur les fractions (voir sur le blog : usine des fractions, usine des cordons et usine des sacs), les résultats de tous les élèves se sont très largement améliorés. Ils comprennent tous.
Dernier exemple avec les comparaisons de décimaux. Je leur ai donné le matériel ci-dessous, avec des décimaux à construire et à classer par groupe de 3 élèves. Une paille rose représente 1 entier, une paille verte représente 10 dixièmes et une paille jaune représente 100 centièmes.
Voici le rendu de chaque classement :
Les trois quarts de la classe pensaient que 1,12 était plus grand que 1,2.
Le fait de le visualiser leur a fait prendre conscience qu’il ne faut pas comparer un nombre décimal comme un entier. Ils ont pu trouver eux-mêmes les règles et en comprendre le sens grâce à la manipulation des pailles.
Pour conclure, le fait d’utiliser des gestes et la manipulation d’objets en mats peut être extrêmement bénéfique pour des élèves, même en CM2. Ils cherchent par eux-mêmes avec du concret et se construisent des représentations mentales solides.
De plus, les recherches en neurosciences montrent que plus nous varions les entrées (visuelles, auditives et kinesthésiques) plus la mémoire retient facilement. Bien sûr, il faut aussi revoir régulièrement ces concepts pour qu’ils les gardent en mémoire.
Je termine cet article en laissant la parole à mes élèves au sujet de la manipulation d’objets en maths 🙂
“Avec la manipulation, on comprend plus facilement et on a plus confiance en soi car on fait par nous-mêmes.” Valentine, CM2 “C’est plus marrant, on participe plus, tout le groupe peut parler… Ça nous aide à visualiser ce qu’on fait. Ça donne du sens.” Louise, CM2 “C’est plus facile pour apprendre quand on fait par soi-même.” Luigi, CM1 “C’est grâce à la manipulation que j’ai pris confiance en moi et que maintenant j’aime les maths.” Stéphanie, CM2 “Ça nous aide à retenir, si on nous donne tout en phrases, on arrive moins à retenir.” Ryan, CM2 “Au début, j’avais rien compris en maths et la manipulation, ça m’a aidée.” Lola, CM2 “Quand on manipule, on comprend plus vite.” William, CM2 “Dans mon ancienne école, on ne faisait pas de manipulation. On me disait : tu apprends ça, sans que je comprenne vraiment. La manipulation m’a fait prendre confiance en moi.” Marie, CM2 “Les maths c’est simple quand on comprend.” Martin, CM2
Crédit photo : Ombeleen